Quelques éléments de l’histoire de cette démarche d’analyse des pratiques pour saisir le mouvement qui nous amènent, nous professionnels du -soin à- et du -souci de- l’autre, à réfléchir d’où ça vient, qu’est-ce que les uns et les autres y cherchent, quels sont les outils et les dispositifs mis en place, quels sont les points de buté de cette démarche, les résistances, etc

Michael Balint, a été un précurseur de cette notion d’analyse des pratiques professionnelles, un précurseur qui, s’est beaucoup soucié de la formation continue des médecins en particulier, mais aussi des soignants en général.

Les Groupes Balint

  1. Naissance de ces groupes (1947-1950)

C’est sur fond de réflexions amorcées par différents psychanalystes, tels que Sigmund Freud avec le concept de Transfert, Sandor Ferenczi avec la question du contrôle en analyse et Wilfred Bion avec ses travaux sur les petits groupes, que Michael Balint développa la pratique des groupes de parole de professionnels de santé, connus en France depuis sous le nom de „groupes Balint“.

Michael Balint (1896-1970) est né à Budapest dans une famille juive et sous un autre nom: Mahaly Bergsmann. Balint fera une psychanalyse avec Hans Sachs, puis Sandor Férenczi. En 1939, devant la menace nazie, il s’exile en Angleterre où il reprend ses études de médecine. Nommé en 1946 à la Tavistock Clinic, il y fait la connaissance d’un psychanalyste Bion W. R., qui le sensibilisera au travail de groupe. Il y fait également une rencontre déterminante avec Enid Albu-Eichholtz, qui deviendra sa 3ème femme.

  1. L’influence du Case-Work

C’est elle ensuite qui l’introduit (en 1947) à une technique nouvelle: Le Case-Work, traduit par -travail de cas-. Ils mettent ainsi tous 2 en place une méthode qui au départ s’adresse aux travailleurs sociaux (des assistants sociaux), puis au médecins généralistes. Cette méthode créée au début du 19è aux Etats-Unis arriva en Angleterre dans les années 20 et en France vers 1926. Elle cherche à „comprendre les interrelations, à individualiser chaque „cas“. (…) C’est l’apprentissage „technique“ en particulier de la relation avec autrui (…).“ Sont requis „l’engagement dans la relation et l’ajustement de l’assistant au client, à savoir la compréhension à la fois intellectuelle, professionnelle et le lien affectif nécessairement présent ».

Michael Balint introduit une modification dans cette méthodologie reprise par Enid, en invitant les assistants sociaux à ne pas utiliser leur rapport écrit lors de l’exposé, mais de rendre compte de la relation et des difficultés rencontrées de manière plus spontanée. Il introduit ainsi la possibilité de la libre association, sur le modèle de la règle analytique inventée par Freud, ce qui permet oublis, distorsions, rajouts, etc. En fait, il introduit dans ce dispositif de travail de cas, ce que la psychanalyse lui a enseigné, avec l’hypothèse de l’inconscient, qui est à l’oeuvre pas seulement pour une personne en demande d’une analyse, mais aussi pour une personne engagée dans la relation à un autre en demande d’aide ou de soin.

Entre 1949 et 1957 (année de parution de son livre: Le médecin, son malade et la maladie), Balint propose des groupes de discussion à des médecins sur les problèmes psychologiques rencontrés dans leur pratique générale. Il s’agit d’un dispositif où des professionnels, souvent médecins et psychanalystes, échangent et commentent des récits de cas cliniques issus de leur pratique. Il s’agit de mieux comprendre, analyser et traiter les relations transférentielles engagées entre médecins et malades. C’est cette expérience qui lui donne l’idée des Groupes Balint. Cette méthode est appelée d’abord „méthode Tavistock“, puis „Training cum Research“ (équipe de recherche) et fut adoptée en France sous le nom de „groupe Balint“.

Son utopie médicale était d’apprendre aux médecins à écouter leurs malades, à la manière d’un psychanalyste qui offrirait une écoute flottante.

  1. Dispositif du groupe Balint

Des praticiens au nombre de 8 à 10 (8 étant un chiffre idéal pour Balint), se réunissent une fois par semaine sous la direction d’un leader psychanalyste, payé pour son travail de formation, et qui garantit le fonctionnement du groupe, lequel se donne pour but l’élucidation d’un cas de la pratique quotidienne actuelle d’un de ses membres. Sans l’aide de dossier, ni de notes, un des médecins expose l’histoire d’une prise en charge d’un patient et des difficultés qu’il rencontre. Ses collègues essayent de trouver des „solutions“ en l’aidant à comprendre les raisons des blocages survenus dans sa relation avec ce malade, qui l’ont empêché d’être un médecin efficace. Pour dégager ce qui se passe entre ce médecin-là et ce malade-là, chacun donne son avis, ses impressions, ses interrogations, ses ressentis. Le leader, lui ponctue les phases de la compréhension de l’évolution de cette relation médecin-malade et éclaire des points que le rapporteur du cas n’a pas vus; il tente aussi de repérer les comportements automatiques que le médecin répète à son insu.

Ces groupes ont donné aux notions de Transfert dans la relation médecin-malade et surtout de contre-Transfert une grande importance. La finalité implicite de ces groupes était le changement de la personnalité du médecin dans son travail, autrement dit le changement de „son moi professionnel„. Balint précise que ce qui est visé, c’est de rendre manifeste „ce que le médecin fait à son patient et ce que le patient fait au médecin, sur le plan émotionnel“. L’idée était d’analyser la relation médecin-malade, au-delà de tout savoir constitué, de toute science objectivable, en prenant en compte l’aspect affectif de cette relation, càd son aspect transférentiel. Dans la Gazette médicale de France du 25 janvier 1970, il parle du contre-transfert du médecin en ces termes: „càd la façon dont il utilise sa personnalité, ses convictions scientifiques, ses modèles de réaction automatique, etc. , représente le matériel le plus important“.
4 principes organisent ce dispositif:

  • la confidentialité: ce qui est à l’intérieur du groupe Balint ne sort pas du groupe,
  • la solidarité: chacun fait sien le problème qui est exposé,
  • la non-conflictualité: il n’y a pas de conflits de personnes entre les membres du groupe,
  • le souci constant du terrain: le groupe se centre sur une tâche à résoudre.

Nous voyons bien qu’à travers ce dispositif, Balint intégre à une dimension de formation (des médecins, des professionnels en fonction de soignant), les processus inconscients issus de la psychanalyse (transfert, contre-transfert, projection, identification, etc.). Par ailleurs, c’est un dispositif qui s’intéresse aux réactions automatiques, les automatismes que le professionnel lui-même ne voit plus dans l’exercice de sa pratique au quotidien, afin d’opérer un changement chez le professionnel. Ces automatismes nous renvoient à la part inconsciente, à l’insu de nos agirs, qui nécessitent d’être repérés et mis au travail à la fois pour rendre visible ou lisible, mais aussi pour opérer une transformation dans l’exercice du professionnel.

  1. L’influence de la notion de groupe

A cette époque, l’idée de groupe est en vogue. Dès les années 30, des cliniciens s’aperçoivent que des dispositifs de groupe artificiel permettent non seulement d’acquérir des connaissances et des compétences, mais également de produire un effet thérapeutique chez les participants.
Avec Bion et sa théorie des petits groupes dits „groupes sans leader“. Chaque petit groupe fonctionnait avec un thérapeute, qui n’était pas mis en place de chef ou de leader (différence avec les groupes Balint). Le groupe se donnait un objet à travailler ensemble. A partir de cet objectif partagé, ce dispositif permettait d’explorer une situation singulière, et l’avancée de chacun dans ses questions. Balint s’est beaucoup intéressé à la méthode des groupes thérapeutiques dirigés conjointement par Bion et Rickman. Par cette approche, un nouvel aspect entre en ligne de compte, c’est la question de l’effet thérapeutique du groupe sur chaque participant.

Autour de la notion de groupe, il y a des points de vue divergents, avec l’idée que le groupe a sa propre dynamique, son propre inconscient (réf. À D. Anzieu: le groupe et l’inconscient). Un groupe est autre chose que la somme des individus qui le composent. Un groupe a sa vie propre, sa structure intime et son homéostasie, il tend à ramener sa dépense d’énergie au plus bas niveau possible.

Différentes expériences de groupe ont permis d’avancer et de réfléchir à comment rendre un groupe le plus efficace. Dans les années 50, les training group ou T-group, par exemple, avaient pour projet de confronter chacun au changement, au diagnostic et à l’action. Il en est dérivé des modèles de groupes de thérapie (groupe de malades, groupe de parole). Pour d’autres, le groupe est simplement un contenant, un dispositif qui permette l’émergence de la parole de chacun. La notion de groupe peut également nous amener à considérer le concept plus juste d’équipe, dans la mesure où l’analyse des pratiques s’adressent souvent aussi à une équipe.

L’origine du mot -équipe- remonte au Skip norvégien, que l’on retrouve dans le mot skipper et qui a donné „équipage“. Ce qui revient à préciser que les groupes de professionnels font équipe autour d’une mission qui est confiée à un établissement hospitalier, social ou médico-social.

  1. Le leader (analyste) dans les groupes Balint

Il va diriger le groupe de manière à créer une atmosphère propice à la formation, ce qui suppose de sa part une présence suffisamment discrète pour que la liberté de la parole des participants ne soit pas compromise. Ses tâches premières (que l’on peut extrapoler à une conduite d’équipe) sont de donner les règles du jeu, puis d’observer le fonctionnement du groupe tout en suivant un certain nombre de règles analytiques: attention flottante, neutralité bienveillante, abstinence, interprétation visant le groupe. Les buts poursuivis par les groupes Balint: changer, modifier la personnalité du praticien, càd le former nécessitent un leader „démocratique“. Il doit être capable de garder le cap du travail en équipe (research, équipe de recherche).